L’Algérie affirme son appartenance géoéconomique méditerranéenne avec sa profondeur africaine

NESA Center Alumni Publication
Dr. Arslan Chikhaoui

Expert en Géopolitique et membre, du Conseil Consultatif d’Experts du World Economic Forum et est partie prenante dans divers Task Forces ‘Track 2’ du système des Nations Unies (UNCSR 1540).
27 Janvier 2023

Depuis la crise politico-militaire Russo-ukrainienne, la région Méditerranée s’est révélée le théâtre de manoeuvres politico-diplomatiques de puissances. Elle est ainsi le premier des théâtres géopolitiques. La Méditerranée est, par voie de conséquence, un enjeu à trois niveaux: stratégique, économique et écologique.

Le Président de la République Tebboune a réaffirmé à maintes reprises l’appartenance de l’Algérie à son espace natuel qu’est la méditerrannée avec sa profondeur stratégique Africaine. En effet, l’Algérie développe et  consolide ses traités d’amitié, de voisinage et de coopération ainsi que ses partenariats stratégiques avec les pays du bassin mediterrannéen. De ce fait, incontestablement, l’Algérie avec sa prochaine adhésion aux BRICS s’érigera en interface stratégique en Méditérrannée occidentale.

Avec ses 46.000 km de côtes et ses ressources sous-marines uniques, la Méditerranée représente la cinquième économie de la région en termes de PIB. Aujourd’hui, la croissance bleue nous indique qu’elle est une source inépuisable de richesses. Les activités liées aux océans en Méditerranée génèreraient une valeur économique annuelle de plus de 500 milliards d’USD selon le Boston Consulting Group (BCG),

L’importance de la Méditerranée est illustrée par le fait que, bien que la mer constitue moins de 1% de l’Océan mondial, elle représente 30% du produit marin brut mondial. Il est, ainsi, admis que les industries de l’économie bleue continueront de soutenir la croissance des autres secteurs d’activité économique de la région, à la fois en termes de valeur ajoutée et d’emploi. Cela fait partie d’une mégatendance mondiale qui est mise en relief par l’OCDE dans son récent rapport «The Ocean Economy in 2030». Il fait remarquer que l’Océan est la nouvelle frontière économique et continue à prévoir qu’un scénario de «business-as-usual» augmente la valeur de la production de l’économie de l’Océan en 2030 de deux fois plus qu’en 2010. Les hydrocarbures extracôtiers (offshore), le tourisme maritime et côtier, le commerce maritime, les équipements maritimes et les ports, la pêche et l’aquaculture sont les principaux moteurs de cette tendance. Leurs perspectives à long terme dépendent de leurs capacités à se connecter et à utiliser des technologies marines innovantes et leurs capacités à s’engager dans une coopération transnationale. Les avances technologiques, les phénomènes sociaux et démographiques et autres tendances de long terme  constituent le substrat de nombreuses activités économiques telles que les énergies marines renouvelables, la protection environnementale, la biotechnologie marine, l’aquaculture, le tourisme, l’accès à l’eau potable par dessalinisation pour contenir le stress hydrique, etc. Tout cela représente de formidables champs d’opportunité, notamment, dans des pays en mutation  économique, à la recherche de nouvelles sources de croissance, à l’exemple des pays de l’Afrique du Nord et par voie de conséquence de l’Algérie.

1. Les enjeux stratégiques

Les bouleversements récurrents sociopolitiques que subit la région Méditerranée et MENA a pour finalité d’avoir un contrôle sur les réserves naturelles énergétiques et hydriques, ainsi que les terres rares (minerais rares necessaires au developpement technologique) pour assurer durant les prochaines cinq décennies une stabilité et une sécurité des populations des pays du Nord dont les exigences de consommation seront en croissance exponentielle et surtout maintenir leurs exigences de confort. La crainte de ces pays du Nord est que leur sécurité nationale soit menacée par des phénomènes de turbulences sociales. L’intérêt stratégique des pays occidentaux (USA et les puissances de l’UE) est de ne pas laisser la Chine s’approprier toutes ces ressources.

2. Les enjeux économiques et écologiques

Au cours des dernières décennies, l’évolution de l’océanographie opérationnelle a été soutenue par une tradition scientifique profondément enracinée et un investissement assez conséquent de l’Union Européenne (UE) dans la recherche et le développement technologique. Cela a abouti à la création d’un vaste système d’observation des océans, à l’exemple du ptojet UE-H2020 destiné exclusivement à la Méditerranée, qui produit d’importantes quantités de données, qui sont transformées en informations pouvant être exploitées pour élaborer la prise de décision dans, les entreprises et les gouvernements.

La logique du «smart power» qui se définit par l’habileté et l’intelligence à faire résonner le partenariat au bon moment avec les bonnes informations et le bon réseau est, présentement, de mise pour combler le déficit de capacités et de compétences entre les régions du Nord et du Sud qui bordent cet espace d’échanges multiformes en contribuant au développement d’une croissance bleue exponentielle et durable.

De son côté, le World Economic Forum  avait élaboré, en mars 2011, un rapport prospectif portant sur les scénarii futurs concernant la région de la Méditerranée. Il expose, notamment, un axe majeur d’évolution dénommé «Mediterrafrica» dont trois points essentiels sont à relever à ce sujet:

  • L’augmentation des potentialités économiques dans les nouveaux marchés émergents en Afrique subsaharienne.
  • Les pays sud-méditerranéens se tourneront de plus en plus vers le Sud pour leur développement économique;
  • L’Europe repliée sur elle-même ne reconnaîtra pas cette tendance à ses débuts et en fin de compte rate une nouvelle période de croissance et la prospérité dans le Sud de la Méditerranée.

 

Il ressort de l’analyse de ce fameux  rapport prospectif que les nouvelles élites seront de plus en plus réticentes à consacrer leur énergie pour favoriser la coopération avec le Nord et plutôt se concentrer sur le développement Sud-Sud. Il avait mis en exergue le fait que la Chine contribuera incontestablement au renouvellement et au développement des infrastructures dans la région. En partie entraînée par des investissements massifs et la demande croissante en provenance des pays BRICS et du CCG, les entreprises d’Afrique du Nord et les entrepreneurs seront au centre du développement de nouveaux liens régionaux. Par conséquent, la rive Sud de la Méditerranée se positionnera comme une passerelle clé à la croissance rapide des marchés émergents en Amérique Latine, en Asie et en Afrique.

Ce rapport du WEF précisait qu’à partir de 2020, l’Afrique deviendra l’histoire de la croissance surprise de la décennie. Poussés par des investissements soutenus et la demande en provenance d’autres marchés émergents, plusieurs pays d’Afrique subsaharienne entraîneront l’ensemble du continent vers une plus grande intégration économique. La communauté d’affaires de l’Afrique du Nord se joindra inévitablement à ce processus. L’Europe, quant à elle, deviendra de plus en plus repliée sur elle-même tandis que l’économie de l’Est et du Sud de la Méditerranée deviendra la principale plaque tournante pour le commerce africain en pleine croissance et les investissements. Grâce à ces marchés potentiels nouveaux et dynamiques, les pays nord-africains se désintéresseront progressivement des initiatives de l’UE. La région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), à ce moment, commencera à atteindre une stabilité relative. Avec l’augmentation de la coopération Sud-Sud, une nouvelle identité Sud Méditerranéenne se développera et la région s’érigera en puissance des marchés émergents de plus en plus influents avec de nouvelles élites gouvernantes bien consolidées.

3. Les enjeux politiques

Les bouleversements que connaît la région Méditerranée, en général, et MENA, en particulier, sont le prolongement de ce que l’Europe a connu après la chute du mur de Berlin en 1989 et qui lui ont permis de s’élargir dans le cadre de sa politique de convergence économique et politique des pays satellites de l’ex-URSS. La force militaire y a par moment contribué (Bosnie, Kosovo, Ukraine…) comme c’est le cas aujourd’hui pour la Libye, la Syrie, le Yémen. La démarche de soutenir la mise en place de nouvelles élites dirigeantes dans la région qui a débuté avec la chute du président irakien, Saddam Hussein, sont le parachèvement du processus de globalisation et d’harmonisation des modes de gouvernance. Elles font suite à la crise multidimensionnelle structurelle et institutionnelle ayant touché toute la planète partant de la crise des surprimes, suivie d’une crise financière, une crise économique, une crise des déficits budgétaires, une crise de l’emploi et enfin par une crise sociale avec un fort impact sur la gouvernance politique actuelle. Elle se conforte avec la crise sanitaire due à la pandémie du covid-19 et à la crise politico-militaire Russo-ukrainienne dont l’un des objectifs inavoués est la projection des puissances navales en Méditerrannée.

Aux yeux des puissances occidentales, la mise en place des nouvelles élites permettra l’instauration de nouveaux réseaux relationnels qui supplanteront aux anciens réseaux qui deviennent désuets et inadaptés. Après la décennie des indépendances, a succédé la décennie de la lutte contre les nationalismes, puis la décennie du désarmement, la décennie des droits de l’homme et de l’humanitaire, et enfin la décennie des réseaux (network).

Cette démarche de renouvellement des réseaux en Méditerranée s’articule, entre autres, autour des différents cadres de coopération. La plupart sont fortement institutionnalisées, comprenant un très grand nombre d’acteurs et traitant tous les secteurs de coopération. C’est la même philosophie doctrinale sous-jacente qui dicte l’ensemble des cadres de coopération partant du processus de Barcelone à l’Union pour la Méditerranée (UpM), en passant par les accords d’association avec l’UE, par la Politique Européenne de Voisinage (PEV), et par le dialogue politique méditerranéen de l’OTAN. Ces cadres de coopération répondent à une logique qui se résume en:

  • ils sont inclusifs et diluent leur spécificité régionale;
  • ils sont de dimension unilatérale et annihilent le rôle des pays du Sud comme pôle de propositions;
  • ils sont fortement institutionnalisés et tributaires d’une lourde bureaucratie;
  • ils sont fortement marqués par le déséquilibre des rapports de forces entre une Europe convergente et intégrée et des pays du Sud en rangs dispersés.

 

Dans une certaine mesure, le cadre de dialogue et de coopération méditerranéen «5+5» apparaît comme un palliatif aux lacunes des autres cadres de coopération. En effet, le processus de Barcelone a été paralysé par, l’interruption du processus de paix israélo-palestinien, la guerre du Liban en 2006, celle de Gaza en 2009 et les révoltes des pays arabes de 2011. Les luttes d’influence et de leadership ont privé ces cadres de coopération de flexibilité et de pragmatisme.

Par ailleurs, l’Europe est progressivement aspirée par le tourbillon des guerres et des conflits d’intensité variable. Le soutien des Emirats Arabes Unis (EAU) au développement d’un pipeline de la Méditerranée orientale qui pourrait nuire économiquement au Qatar combiné à l’opposition de la Grèce, de Chypre et de la France aux mouvements tactiques de la Turquie, laisse l’Europe sans grande marge de manoeuvre. Les guerres par procuration se sont répandues dans l’espace de la Méditerranée orientale. Les pays européens, dont la France, la Grèce et Chypre, se sentent menacés par l’utilisation de la Libye par la Turquie pour étendre son emprise sur les eaux régionales riches en gaz.

En conséquence, les conflits d’intensité variable et leurs corollaires autour de la Mer Méditerranée deviennent des problématiques sérieuses pour le développement d’une coopération apaisée et équilibrée entre les deux rives Nord et Sud de cet espace. L’Algérie s’atelle à s’ériger en hub géoéconomique à triple leviers: énergétique, minier et agricole.

 

 

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